La soirée s’annonçait belle : un cadre mythique pour un guitariste qui l’est encore plus. Le spectacle fut à la hauteur de toutes les espérances. Il n’y a pas à dire : le père David se bonifie avec l’âge. Si le tour de taille s’est légèrement épaissi au cours des années, son jeu de guitare s’est quant à lui affiné. Au-delà de l’immense guitariste qu’il a toujours été au sein de Pink Floyd, Gilmour est aujourd’hui un homme serein aux talents multiples.
Et le concert, me direz-vous ? Une merveille de bout en bout maîtrisée par le groupe. Accompagné des fidèles et indéboulonnables Rick Wright et Jon Carin aux claviers, Dick Parry au saxophone et Guy Pratt, gendre du premier, à la basse, Gilmour a ajouté à cette formation qui rappelle énormément le Floyd du retour des 90’s le jeune batteur californien Steve DiStanislao au jeu sobre mais efficace et son ami qu’il qualifie d’« El Magnifico » Phil Manzanera qui, s’il a remis David au boulot pour son dernier album, n’est pas à la hauteur à la guitare d’appoint.
Pendant la balance, nous avions eu un aperçu de ce qui nous attendait : beaucoup de « On a island » et quelques très bonnes perles du répertoire floydien : au moins « Breathe » et « Arnold Layne ». Avec un peu de retard lié au gros orage de l’après-midi, le concert débute par un « Breathe » classique qui permet au maître de chauffer un peu la voix, un organe qu’on oublie un peu trop souvent de citer parmi ses qualités. Puis arrive la première claque : le groupe nous sort un « Time » du tonnerre. Dès le bruit des horloges, on attend avec impatience la suite : l’enchaînement de claquements secs des percussions et, surtout, « le » gros son de la première ligne de guitare. Les poils de l’ensemble du théâtre antique s’ébouriffent en même temps lorsque retentit ce son si particulier, bien grave et vibrant. Le chant est ensuite hargneux et le premier solo du maître donne le ton de ce qui va nous attendre. Dans ce lieu, l’acoustique est exceptionnelle et Gilmour va nous en donner pour notre argent : ce premier solo du concert est monstrueux de puissance et de maîtrise.
Après le reprise de « Breathe », l’artiste parle en français pour nous demander si on a « pas trop mal aux fesses » et annoncer la suite du concert : « notre dernier album On a island » dans un premier temps et « des vieux » dans un second. L’intro de « Castellorizon » commence et le groupe déroule tranquillement ce magnifique album qui prend tout son relief sur scène. Si les ballades dominent, les arrangements de ces dernières sont magnifiques : le boulot de Jon Carin aux ambiances est remarquable et enveloppe les perles d’un écrin velouté. Gilmour nous sort même le banjo, qu’il ne maîtrise pas forcément très bien mais il s’amuse presque à se planter avec ! Il n’oublie pas son nouvel instrument, remarqué sur l‘album, à savoir le saxophone dont il joue très honorablement, en solitaire. La différence d’organisation du show par rapport à l’album permet d’enchaîner les magnifiques ballades jusqu’à « Smile », de faire la présentation des musiciens en faisant exprès d’oublier Rick Wright pour qu’il ait aussi le droit à une splendide ovation.
Arrive alors un grand moment du concert : « Take a breath » ! Cette chanson aux faux airs d’Astronomy Dominé est une bombe sur scène, menée de main de maître par la basse et les chorus d’un Guy Pratt toujours en pleine forme. Une puissance qui fait presque regretter que David n’ait pas composé une ou deux autres chansons de ce calibre pour illuminer l’album et plus le contraster. Toujours est-il que sur scène, l’effet est immédiat et réveille un public pourtant déjà conquis par la qualité des interprétations et la sympathie réelle de l’artiste. Le 1er set s’achève par un magnifique « A pocket full of stones » et un très mélancolique et amoureux « Where we start ». Gilmour nous annonce alors la petite pause traditionnelle.
Le retour s’annonce exceptionnel, n’ayons pas peur des mots. Le groupe commence par un « Shine on you crazy diamond » version 2006, à savoir intro avec les verres et « un peu de beaujolais et du silence », tel que le Floyd l’avait enregistré il y a 32 ans. Gilmour la chante à la Meltdown (le DVD de 2002), c’est-à-dire avec une façon différente de l’interpréter, en n’insistant pas sur le shiiiiiine, contrairement à l’album. Public conquis évidemment au terme de ce classique des classiques. Il nous sort ensuite le méconnu mais splendide « Wot’s uh the deal » dépoussiéré d’Obscured by clouds, album trop souvent méprisé mais rempli de petites perles. Enchaînement avec Fat Old Sun, une des premières compositions solitaires de David pour le Floyd (1970), très belle chanson au demeurant. Mais là, la magie opère à nouveau : Gilmour nous sort un solo de folie, du gros son comme il en faisait exploser les tympans sur les dernières tournées du Floyd. Une merveille qui met tout le théâtre debout à la fin du morceau. Après ce direct du droit dans les tempes, arrive l’uppercut « Arnold Layne » : le groupe est déchaîné dans cet hommage fait à Syd Barrett décédé quelques semaines auparavant. Wright saute dans tous les sens, fait vibrer les cordes des ses instruments et de sa voix comme je ne pensais jamais le voir faire un jour. « Coming back to life » et « High hopes » viennent un peu apaiser l’ambiance, mais là encore les arrangements sont splendides et la fin de « High hopes » où l’on voit Gilmour assis en train de jouer de l’acoustique posée tranquillement sur ses genoux est très émouvante.
Arrive alors LE grand moment du concert. Comment, il n’est encore pas arrivé ? Eh bien non ! Le « ping », répété annonce les premières notes d’ « Echoes ». De l’avis de nombreux fans, ce morceau est celui qui est le plus mythique du Floyd et pour cause. De l’avis (encore !) de ceux présents, toutes générations confondues, cette version à Vienne est peut-être la meilleure jamais interprétée. Les parties planantes et chantées l’ont été merveilleusement mais que dire de la partie « funky » ? Le groove initié par Guy Pratt était monstrueux, le son énorme permis par l’enceinte et son acoustique exceptionnelle ont porté le morceau vers les cimes de la perfection. Wright complètement déchaîné encore, Gilmour aussi appliqué que prodigieux, une rythmique d’enfer. Bref, quand un chef d’œuvre sur disque (car c’en est un et je défie quiconque de me contredire) atteint son apogée sur scène, les émotions qui passent vous dépassent. Ce fut le cas dans l’audience qui offrit au groupe une sincère, méritée et très longue standing ovation. « Vous êtes très très gentils » nous a répété Gilmour plusieurs fois, mais on ne peut pas l’être assez quand on nous offre un tel spectacle, car je n’ai pas non plus parlé du light show impeccable qui a mis en valeur ces grandes interprétations.
Le rappel commence par le traditionnel « Wish you were here », dont l’intro a - une fois de plus - été ratée par Manzarena. Enfin, as usual, « Confortably numb » vient compléter la set list. Cette chanson qui contient le solo préféré du maître (selon ses propres dires) nous laisse un sentiment d’inachevé quand celui-ci s’achève justement. Si la première partie de la chanson est de facture classique (interprétée à la note près), le deuxième solo vient s’envoler dans les cieux pour parachever une soirée impeccable.
Des concerts comme ceux-ci ne devraient jamais se terminer. Il faut une fin à tout, il en fallait une pour ce concert, ce sera également celle de ce compte-rendu.
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