Jimi Hendrix - L'expérience des limites - (Charles R. Cross / Camion Blanc / 2005)
 
 
Jimi Hendrix aura eu une vie misérable, une mort misérable, une succession misérable... C'est la constatation qui s'impose à la lecture des cinq cents pages de cette biographie complète et édifiante. Celle-ci, construite sur le mode chronologique, et bâtie sur la base d'innombrables interviews, retrace les vingt-sept années plus qu'agitées de la vie du guitariste prodige.

Le récit de son enfance et de son adolescence nous montre un "Buster" Hendrix (son surnom de l'époque) qui tâche de survivre plutôt que de vivre. Il faut dire qu'avec des parents alcooliques et irresponsables, qui enchaînent les naissances inconsidérément, et ballotent leur progéniture de famille d'accueil en hôtel miteux, de chez quelques tantes bienveillantes à quelques appartements minuscules, le tout sans le sou, il est difficile d'envisager un avenir... Surtout dans le Seattle et l'Amérique ouvertement raciste des années 40-50.

C'est, on s'en doute, la guitare, qui deviendra le salut de Jimi Hendrix. Alors qu'il a commencé par singer ses idoles sur un manche à balai, il se montre remarquablement doué dès qu'il s'attaque à la six cordes.

Après avoir quitté l'armée en se prétendant homosexuel, Jimi entreprend son apprentissage du blues et du rhythm n'blues en accompagnant, particulièrement dans le sud des Etats-Unis, par opportunité, coup de coeur ou coup du sort, tout ce que la terre a pu porter comme groupes (Little Richard pour le plus connu) ! Après être passé maître dans l'art du pique-assiette (ou plutôt de la survie...), et avoir commencé à affirmer son style enfin personnel, à New York, le temps de l'été 1966, c'est à Londres que Jimi deviendra une star en à peine une semaine, adoubé par les musiciens de Cream, des Who ou des Beatles, poussé par Chas Chandler, son mentor et ex-bassiste de The Animals.

Hendrix a fait siens une gestuelle scénique sauvage et sexuelle, l'usage d'un son saturé à l'extrême et des premiers effets, le mélange du rock, du blues et du rhythm n'blues, sans parler d'une technique époustouflante pour l'époque. Durant des années, il n'a quasiment pas passé un instant sans sa guitare en main, donnant un concert à la sortie d'une session studio, jammant dès sa sortie de scène, jouant sans cesse comme si sa vie en dépendait. L'un des points forts de ce bouquin est de nous faire prendre conscience que la carrière courte et fulgurante carrière de Jimi Hendrix est jalonnée de paradoxes étonnants.

Tout d'abord, c'est, en quelque sorte, sa boulimie de musique qui a causé sa perte. La fuite en avant des concerts toujours plus nombreux, l'attente croissante du public, la pression du financier qui prend le pas sur l'artistique, l'ont entraîné dans le cercle vicieux des addictions. Les drogues, qui ont pu "ouvrir" son esprit au début de sa carrière de compositeur, sont devenues le pendant de son style de vie impossible, si bien qu'il n'a bientôt pu se débrouiller sans elles pour se réveiller, s'endormir, masquer la fatigue, oublier son malaise, faire la fête, etc...
Ce qui lui a permis, un temps, de vivre en surrégime, a peu à peu pris le pas sur sa santé et sa lucidité.
C'est, également, pour cette raison en partie, que la carrière de Hendrix fut jalonnée de concerts époustouflants comme de prestations désastreuses. Un festival de Monterey inoubliable contre un Woodstock bancal au lever du jour, etc... De même, quelques minutes à peine après un concert désastreux, il est souvent arrivé à Hendrix de donner des jams extraordinaires en coulisses avec des amis musiciens...

Dans le même registre, on peut s'étonner de l'opposition entre l'acharnement que Jimi a mis, durant des années, à devenir célèbre (des années de vaches maigres à apprendre son métier en accompagnant d'autres artistes), et celui mis à tenter d'échapper à cette célébrité une fois qu'elle était acquise. Des hordes de fans qui lui réclament "Hey Joe" et "Purple Haze" à chaque concert, cela, il ne le comprenait pas, alors que lui ne rêvait plus que de guitare acoustique et de musique symphonique, de liberté et de création.
Hendrix était toujours accompagné d'une foule de suiveurs et de parasites, et pourtant, il était globalement seul. Son aura sexuelle a jeté dans son lit des centaines de groupies, mais il n'a jamais connu de véritable histoire d'amour (peut-on appeler celle avec la "tolérante" Kathy Etchingham une histoire d'amour ?).

Au final, cette biographie, pourtant quasi irréprochable, se lit avec une profonde impression de malaise. Tant de malheur et de mal-être, concentrés dans vingt-sept ans de vie, dans quatre ans de carrière solo, c'est beaucoup trop ! L'image d'Epinal du guitar hero à la veste bariolée, qui joue avec les dents et met le feu à sa guitare, cache une réalité bien plus misérable. Même la fin de l'histoire est glauque. Hendrix meurt étouffé par ses vomissements dans le lit d'une quasi inconnue (Monika Dannemann) qui n'aura de cesse d'affabuler et de récupérer l'évènement par la suite. Sa succession donne lieu à procès sur procès, entre son père Al, son frère Leon, sa soeur adoptive chargée de gérer son catalogue, les anciens membre de l'Experience, etc...

Et si, finalement, il avait mieux valu garder le souvenir immaculé d'un "Little Wing" virtuose et délicat, d'un "Voodo Child" à la wah wah unique, d'un "Red House" au blues torride, etc... ?
 
par Mitch
le 30 octobre 2006
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