La France héberge un génie en la personne d’Albert Marcœur et elle ne le sait pas. Ce dernier enregistre peu mais avec régularité depuis le début des années 70. A chaque fois, le talent et l’originalité sont bel et bien au rendez-vous, malheureusement il ne reçoit guère plus qu’un succès d’estime – Brian Molko de Placebo avait utilisé l’expression « constantly undiscovered » à propos de Peter Hammill. Cette expression paraît bien adaptée au moustachu de Dijon. Après un « L Apostrophe » magnifique sorti il y a trois ans, le voilà donc qui revient avec un nouvel opus : Travaux Pratiques.
On a souvent parlé d’Albert Marcœur comme d’une sorte de Frank Zappa français. C’est à la fois vrai et erroné. En effet, ses premiers albums, proches du bricolage pouvaient rappeler les débuts des Mothers of Invention ; les deux mettent de l’humour dans leur œuvre ; et ils portent tous les deux une moustache ! La comparaison s’arrête là ; Zappa posait un regard critique et sarcastique sur la société alors que Marcœur fait preuve d’un humour naïf, une sorte de regard d’enfant, finalement le symptôme d’une réflexion sur les maux de notre époque. Et puis musicalement, le grand Albert a trouvé son style propre.
Travaux Pratiques est donc son dixième album. L’orchestration choisie change un tantinet puisqu’il a écrit les neuf morceaux présents en intégrant un quartet à corde, à ses percussions ferroviaires, guitares en arpèges et boucles. Le style habituel du dijonnais est bien reconnaissable car on retrouve ses harmonies et mélodies légèrement dissonantes, ses structures bizarroïdes, ses trouvailles sonores mais avec un son global différent. Le quartet est présent sur tous les titres même s’il n’est pas toujours mis en avant (Le Paris-Beurre). Il se fond parfaitement dans la palette sonore développée. Certes, la musique n’est pas toujours facile d’accès et ceux qui ne le connaîtraient pas auront sans doute besoin de persévérer un peu, mais après quel bonheur !!
Au niveau des textes, c’est aussi une véritable réussite. Le style reste bien reconnaissable : énumérations (Stock de statistiques, Les femmes, ah les femme !), images pour le moins inhabituelles (« Les femmes, c’est comme la cueillette des framboises » dans Les femmes, ah les femmes !), provocations parfois grivoises (mention spéciale au refrain de Le diable), jeux de mots pas gratuits (Si les fumeurs fument, les fumeurs meurent), mise en perspective à partir d’un exemple ou d’une anecdote (Le diable, Si les fumeurs fument, Un poète péruvien à Paris), chutes surprenantes (Stock de statistiques, Si les fumeurs fument, Dans le vif du sujet)…
Même si les sujets sont graves, il arrive la plupart du temps à faire rire au détour d’une phrase, certes surprenante mais forçant le recul et le questionnement (des fois, on a un peu honte de rire mais c'est salutaire !). Au delà de l’humour et de la dérision, ses chansons font sens. Une simple anecdote et c'est notre époque qui est décrite... parfois cruellement ! Voilà donc un auteur particulièrement stimulant !
Décidément Albert Marcoeur fait partie des grands musiciens et paroliers actuellement en activité. Une réussite totale qu’il faut absolument découvrir.
PS : Précurseur comme toujours, Albert Marcœur a quitté le système des maisons de disques et ses albums ne sont plus en vente en magasin depuis plusieurs années déjà. On peut se les procurer sur son site http://www.marcoeur.com |