John Zorn fait partie des compositeurs les plus prolifiques du monde. Il sort chaque année plusieurs albums dans des styles et des formations très différents. Parmi, toutes ces œuvres, la pièce centrale, une sorte de fil rouge qui l’occupe depuis une quinzaine d’année, reste Masada. L’idée de départ était pour Zorn d’écrire de la musique mélodique, ce qui était plutôt une nouveauté pour lui à l’époque !
Le projet Masada se découpe en plusieurs parties. Le Book One, composé au début des années 90 comprend quelque deux cents compositions régulièrement jouées par le quartet original puis par les formations connexes que sont le Masada String Trio et Bar Kokhba depuis une quinzaine d’années.
La deuxième partie nommée Book of Angels regroupe plus de 300 compositions écrites en… trois mois. Une troisième partie existe, qui compterait plus de 90 morceaux mais celle-ci est aujourd’hui totalement inédite.
Depuis quelques années, Zorn a entrepris l’enregistrement de son Book of Angels en imposant quelques règles. Chaque groupe choisi des morceaux dans la Masada Book Two qu’il peut arranger comme il veut. Une fois qu’un morceau a été choisi par quelqu’un, il ne peut plus l’être par quelqu’un d’autre. Pas sûr que cette deuxième règle soit forcément respectée : sa formation Electric Masada a déjà joué un morceau enregistré par le trio de Marc Ribot sur Asmodeus.
Pour le moment, il existe 10 volumes dans cette série, tous enregistrés par des formations différentes et le onzième est déjà annoncé pour l’été 2008. Le volume 10, joliment nommé Lucifer, permet de retrouver le sextet Bar Kokhba qui est peut-être la plus belle formation imaginable pour interpréter cette musique.
Le groupe comprend Marc Ribot (guitare), Mark Feldman (violon), Erik Friedlander (violoncelle), Greg Cohen (contrebasse), Cyro Baptista (percussions), Joey Baron (batterie) et John Zorn (direction – il ne joue pas de sax sur ce disque). Il s’agit bien sûr de vieux compagnons de route du new-yorkais, mais aussi d’instrumentistes exceptionnels.
L’album comprend dix morceaux, tous excellents, alternants des pièces enlevées avec des compositions plus calmes. Comme toujours avec Masada, l’influence juive (ashkénaze et séfarade) est très présente mais on est loin des canons de la world music mondialisée. Cette musique a une personnalité très forte, que diable !
Dirigé par Zorn (au doigt et l’œil – littéralement), les morceaux et au sein de ceux-ci les différentes sections s’enchaînent harmonieusement. La variété de jeu de tous les musiciens garanti au disque une grande diversité d’ambiance tout en gardant une cohérence sonore parfaite.
Les cordes de la paire Feldman/Friedlander utilisant de nombreuses techniques (jeu avec archer, pizzicato…) offrent un écrin sensuel pour les improvisations de Ribot (l’homme qui a réinventé la guitare d’après Zorn). Le jeu de batterie de Baron, très souple, relevé par les percussions de Baptista impulse à l’ensemble une dynamique complexe, efficace et riche : comment ne pas se mettre à danser parfois ? Notons aussi, la précision du jeu de Greg Cohen assurant une assise rythmique et harmonique de chaque instant.
Les morceaux calmes regorgent d’une émotion qui prend aux tripes et sont bien souvent construits sur des thèmes lancinants et répétitifs devenant vite envoûtants.
Zorn, suivant les pièces, donne la vedette à ses musiciens. Chacun son tour, ils font des solos en toute liberté, sinon la durée limitée par le chef. Le plaisir de jouer ensemble pour cette formation est palpable. Ces gens là se connaissent si bien et depuis si longtemps que leur communication est totale, quasi-télépathique, mais toujours au service de la musique, remarquablement interprtée.
Bref, la maîtrise des ambiances, des couleurs, des durées est parfaite. Tout ceci fait de ce disque une pièce maîtresse qu'il faut absolument découvrir ! |