Kent - Les Abattoirs de Bourgoin (29/11/2008)
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Kent Cockenstock serait-il un Martien ? Conceptuellement, peut-être, comme le laisse supposer son excellent dernier album, l’Homme de Mars, dans lequel il chronique avec tendresse et acuité notre humanité et ses travers. Artistiquement, certainement, quand on sait que le bonhomme mène depuis trente ans une jolie carrière de funambule de la chanson française. Funambule, il fallait bien en avoir les dons pour ne pas tomber de cette corde (sensible) qui le vit tellement évoluer de la fin des 70’s à aujourd’hui. Durant cette période, Kent, en agile acrobate qu’il est, a su passer allègrement de Starshooter, punk francophone de qualité unanimement reconnue, au concept-album avec orchestre qu’est le dernier opus, en passant par la chanson dite « à texte » (comme si le reste ne devait pas l’être d’ailleurs…) avec accordéon et rouflaquettes dans les années 90, la techno (l’expérience « Metropolitain ») ou encore au rock français nouvelle génération comme le prouva l’exquis Bienvenue au Club soutenu par M ou Mickey 3D... Bref, une carrière marquée par un remarquable éclectisme suffisamment réussi pour en être rare dans le paysage de la chanson francophone. Trente ans après ses débuts, Kent se devait donc de nous faire un beau retour sur carrière. C’est ce qu’il a entrepris avec son « Panorama Tour », à la fois regard rétrospectif et défense sur scène de son nouvel album.

Comment défendre un concept-album marqué par des arrangements à tuer (merci Fred Pallem), utilisant orchestre et visuel conceptuel ? Il est évidemment impossible de partir en tournée avec un orchestre. Kent a donc décidé de fouler les planches en duo avec Fred Pallem, qui l’accompagne à la guitare. En gros, le spectacle est l’œuvre de deux guitaristes qui tournent à quatre guitares : deux acoustiques, dont une splendide Gibson pour Fred et deux électriques, dont une splendide Gretsch noire et blanche pour Kent). C’est là que l’expérience se révèle particulièrement réussie : Pallem, en arrangeur de métier et de talent qu’il est, sait admirablement bruiter ses guitares pour donner un relief sonore très intéressant qui vient relever le jeu très incisif de Kent. Ces deux gras là se sentent bien ensemble et la prestation s’en ressent inévitablement. Ainsi, les quelques morceaux de l’Homme de Mars ne souffrent pas du vide laissé par l’orchestre resté à la maison.


Il y a une dizaine d’années, la ville de Bourgoin a suivi quelques audacieux qui cherchaient à imposer une nouvelle infrastructure pour les musiques actuelles. C’est sur cette base que fut décidée la réfection des Abattoirs en un lieu consacré à ce courant actuel (les musiques amplifiées). C’est de cette belle aventure qu’est née la magnifique salle de spectacle dont dispose aujourd’hui le Nord-Isère, un outil réellement magnifique et bien pensé (gradins assis en haut, deux niveaux de plancher pour le public qui désire rester debout, ne gênant ainsi pas la visibilité de ceux qui sont au fond. Ajoutons à cela une scène suffisamment basse pour que le public du premier rang ne finisse pas avec un torticolis et le tableau est ainsi rapidement et élogieusement dressé. Chapeau à Bourgoin, cette salle n’est pas connue mais elle est appelée à un très bel avenir. Avenir que construisent les Abattoirs en accompagnant des jeunes artistes, en leur permettant de répéter, d’enregistrer et de se produire sur scène avant la tête d’affiche. Ce fut le cas de « Spline et la mauvaise herbe », formation difficilement classifiable avec une rythmique ethno-reggae, une violoncelliste-bandéoniste (si si !) et un chanteur dreadlocks à la voix complètement (même pire) Arthur H ienne… Les « huiles » locales et ministérielles étant venues s’auto-congratuler de la labellisation « SMAC » de la salle, Kent n’est arrivé sur scène que tardivement, au-delà de 22h00…


Être patient valait largement le coup, c’est une certitude. Le duo Kent-Pallem a interprété la bagatelle de 23 chansons, piochées dans l’ensemble d’un répertoire déjà copieusement garni. Kent précise très rapidement que ce qu’il va faire ce soir n’est pas un « best-of de maison de disques, mais on best-of, qui rejoint pour certains titres celui des maisons de disques, mais pas toujours ». A un spectateur peu gêné de venir lui demander personnellement un titre, il répondra d’ailleurs qu’il n’est « pas un juke box », d’autant plus que sur le nombre de chansons créées, il est évident que certains titres non répétés friseraient la catastrophe. On le comprend d’ailleurs très bien puisque Kent fait partie de ces auteurs aux textes bien ficelés et écrits avec un plaisir de la langue qui se ressent immédiatement.


D’emblée, Kent choisit justement la référence littéraire, ou poétique plutôt, avec « Un peu de Prévert ». Pour lancer la dynamique, il enchaîne sur « Bienvenue au club », chanson merveilleuse qui en quelques formules clés biographient la vie d’un homme, qui franchit les paliers par décades. Elle passe très bien en acoustique et c’est un réel bonheur. De l’avant-dernier album au nouveau, il n’y avait qu’un pas à franchir, c’est par « On a marché sur la terre » que Kent le franchit (« Pourtant j’en suis sûr, on a marché sur la terre / Avant les années obscures, on y a vu de la lumière »). Retour en arrière avec « Des roses et des ronces », chanson méconnue, mais franchement réussie. Starshooter pointe le bout de son nez avec « Mois de mai ». Kent explique alors qu’il ne se voit plus aujourd’hui chanter, voire scander, les refrains d’une jeunesse révoltée qu’il incarnait il y a trente ans. « Les vraies gens », tube des initiés de l’avant-dernier album, vient enflammer la foule, enchaînement d’autant plus amusant qu’une spectatrice la lui demanda et que c’était justement celle-ci la prochaine. Kent de répondre, « ouais, ben tiens, c’est pas le bon titre, mais c’est celle-là qu’on va faire ».


Kent explique ensuite qu’il s’est remis à écrire pendant la tournée et nous propose une nouvelle chanson puisque, si le Panorama Tour est un regard en arrière, il pense aussi au futur. « Une ville à aimer » est donc ce nouveau titre, beau texte sur une musique très habituelle. « Reste encore », cri désespéré d’un homme amoureux en train de se faire larguer, est chantée avec conviction (expérience personnelle ?). « J’aime un pays », un de ses vrais tubes, était très attendue par la salle, qui tape des mains, reprend le refrain (dans lequel « Sarkozy » est venu remplacer « Bernard Tapie ») et s’éclate bien. « Mon étudiante » permet à Kent de se souvenir qu’il aime le rock, les sons saturés et les distorsions. Elle fera beaucoup de mal à l’ampli principal qui ne cessera par la suite de souffler dans une lente agonie. « Papillon de nuit », étendard de l’époque Starshooter introduit « A quoi rêvons-nous ? », chanson mélancolique aux traits si typiques de Kent avec de splendides trouvailles (« On rêve à qui on rêve à quoi / Un peu de chaud quand il fait froid / Un peu de pain quand on a faim / Un peu de tout quand on n’a rien /Un peu plus loin quand on a tout »).


« Métropolitain », titre éponyme de l’album techno que tenta Kent en 1998 lui permet de revenir un peu sur l’image qu’on lui prête. Quand il était dans Starshooter, on lui parlait de révolte, de punk, de rock, alors qu’il ne l’était pas. A l’époque « chanson française », on lui parlait Brassens, Brel, Trénet alors qu’il ne les écoutait pas… Amusante anecdote qui montre bien qu’un artiste n’est pas forcément représentatif de ce qu’il fait, mais que l’éclectisme permet aussi de ne pas être catalogué. C’est pour ça qu’il a fait cet album techno car il adorait ce mouvement, qu’il trouvait hyper créatif à l’époque. Sa maison de disques doit encore lui en vouloir, mais Kent s’en moque, il a fait ce qu’il voulait faire à l’époque et est allé au bout de son expérience. Ressort de ce disque cette très belle chanson. De ce titre pour le moins « urbain », Kent revient alors sur la « Planète Mars », avant de porter son regard sur l’enfance avec « Tous les mômes », chanson qu’il interprète plus en mime qu’en musicien.


« Louis Louis Louis », hommage à Blériot, est expliquée comme étant le reflet de sa passion pour les avions qu’il tentait de placer dans plusieurs chansons à l’époque (« Méfie toi des avions », qu’on peut qualifier de « tube » de Starshooter ne sera pas chantée ce soir, contrairement à la tournée précédente). « Dis-moi, est-ce que tu m’aimeras ? » précède « Au revoir adieu », autre de ses grands succès. C’est avec ce titre que s’achève le concert d’avant rappel. Il y a d’ailleurs pété une corde de guitare…


Kent a une façon bien à lui de faire son rappel. Comme il a pété sa guitare, Fred Pallem lui prête la sienne. Déjà lors de sa précédente tournée, Kent attaquait le rappel par sa splendide chanson écrite pour Enzo Enzo « Juste quelqu’un de bien ». La différence avec un rappel traditionnel est double : d’une part, il n’est pas sorti de scène auparavant. Il précise que s’il n’a pas besoin d’aller aux toilettes, il préfère ne pas passer par cette figure imposée, totalement artificielle. D’autre part, et surtout, il vient s’asseoir sur le bord de la scène, les pieds dans le vide, et il chante sans aucune amplification. La fosse se masse autour de lui et reprend le refrain comme une chorale dans une ambiance de feu de camp ou de berceuse très feutrée. Être comme ça, au milieu de son public, est franchement une saine idée, la frontière entre l’artiste et ses spectateurs n’existe plus, c’est une communion sincère et partagée qui s’instaure alors.


Remonté sur scène, « Betsy party », rock ressorti des tréfonds de Starshooter électrise la salle, qui s’enflamme sur l’hymne rural d’ « Allons z’à la campagne » sur lequel Kent quitte cette fois la scène (pipi ?). Pour patienter et l’inciter à revenir, le public entonne « Oh Oh Oh, à nos Amours ». Kent : « Ouaip, allez bon, elle était pas prévue mais on va vous la faire ! ». En effet, sur la set-list que j’ai lue avant le concert (j’étais tout devant), cela aurait dû être « Happiness & moi / Comme George Bailey ». Finalement, la soirée s’achève par « Vers de nouvelles aventures » (« En route vers nos plus belles aventures / Loin des rêves en demi-mesures »), comme un symbole d’une carrière qui n’est pas prête de s’arrêter.


Quand, dans une personne, vous cumulez la qualité de ciseleur de textes, d’interprète (car je n’ai pas parlé de la voix, absolument parfaite, forte, modulée et juste tout au long du concert, avec une articulation à faire pâlir un orthophoniste dogmatique), la sincérité et la simplicité, vous obtenez une soirée qui, vous l’aurez compris, m’emballa au plus haut point. Il y a quelques années, je m’étais dit que j’irais bien voir Kent sur scène un jour ; j’y suis allé deux fois en trois ans, pour deux tournées très différentes (électrique & rock au Ninkasi, duo & guitare pour celle-ci), à des prix modiques (moins de 18€ les deux fois). Franchement, on ne peut qu’être satisfait pour peu qu’on aime un tant soit peu l’authenticité, les textes bien écrits sans pour autant être prétentieux et les mélodies bien ficelées. Un peu de patience permit de voir revenir le bonhomme pour un after-show très convivial où il a volontiers discuté, signé des autographes tous accompagnés d’un petit dessin, puisque Kent est aussi dessinateur de BD.
Alors oui, rejoignez Kent, qui n’est donc pas qu’une chanson, mais plutôt un cyclone qui fait une nouba dans le métropolitain, à faire frémir le mur du son d’un autre occident, celui de tous les hommes, dont l’homme de mars. Bienvenue au club !

PS de Mitch : merci à Olymp' qui nous offre cette belle chronique !
 
par Mitch
07 décembre 2008

Setlist :

Un peu de Prévert
Bienvenue au club
On a marché sur la terre
Des roses et des ronces
Mois de mai
Les vraies gens
Une ville à aimer
Reste encore
J’aime un pays
Mon étudiante
Papillon de nuit
A quoi rêvons nous
Métropolitain
Planète Mars
Tous les mômes
Louis Louis Louis
Dis-moi, est-ce que tu m’aimeras ?
Au revoir, adieu

Rappel 1

Juste quelqu’un de bien
Betsy party
Allons z’à la campagne

Rappel 2

A nos amours
Vers de nouvelles aventures
 
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