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Jouer la musique des autres est un passage obligé pour tout musicien. Avant de composer ses propres morceaux, il est indispensable d'apprendre les bases de son instrument et d'exercer sa technique sur des titres déjà existants. La majorité des musiciens vont, ainsi, commencer leur "carrière" en groupe en jouant des reprises. Certains en feront même leur fonds de commerce : orchestres de bal, formations hommage à un groupe en particulier, petits groupes de reprises sans autre prétention que de prendre du plaisir sur leurs morceaux favoris. Car c'est bien là que réside tout l'intérêt de la reprise, aussi bien pour celui qui la joue que pour son auditoire : prendre du plaisir sur des morceaux ayant déjà fait leurs preuves.
Y a-t-il une utilité à jouer une reprise à l'identique de son original ?
Les partisans de cette option affirment faire ce choix par respect pour l'artiste qu'ils reprennent. Ils ont la modestie de ne pas prétendre faire mieux que le créateur du morceau ; ils en respectent chaque note, chaque accent, et proposent simplement un son et une voix un peu différents.
Il faut dire que le métal n'est pas le style dans lequel il est le plus facile de s'éloigner de l'original. Les chansons sont souvent indissociables des riffs de guitare qui les composent, si bien qu'un certain nombre d'éléments d'un titre devront systématiquement figurer dans toute adaptation. Comment jouer, sans leur riff d'intro, "Highway To Hell" d'AC/DC, "Sweet Child O' Mine" de Guns n' Roses, "Enter Sandman" de Metallica, "Breaking The Law" de Judas Priest, ou encore "Smoke On The Water" de Deep Purple ?
Une illustration de cette fidélité obligée peut être donnée, sur ce dernier morceau, par deux groupes qui ont, néanmoins, réussi à apposer leur "patte" en adaptant le riff au rythme spécifique de leur style musical : Metallium et T.O.C.
Le pop rock, la variété et la chanson semblent se prêter plus facilement à des changements d'orchestration.
Du moment que les suites d'accords et la mélodie de chant sont respectées, les autres modifications choqueront moins l'oreille qu'elles ne le feraient sur un morceau de métal. Il est fréquent qu'un artiste de variété propose une nouvelle orchestration de ses classiques lors de chaque tournée, la variété et la chanson laissant beaucoup plus de place aux arrangements et à l'utilisation d'instruments sortant du strict cadre guitare-basse-batterie. On pourra, à ce sujet, citer Jean-Jacques Goldman qui s'amuse, sur son live "Tournée En Passant", de la façon dont certains de ses titres "prennent leur indépendance" au cours de reprises parfois improbables ! Il illustre le propos en proposant lui-même préventivement toutes les versions de "Pas Toi" auxquelles nous n'échapperons peut-être pas : rap, reggae, hard, opérette, swing !
Pour en terminer avec la variété, nous ajouterons qu'il n'est pas rare d'entendre d'efficaces reprises de chansons populaires en version punk rock ou hard rock : "What A Wonderful World" de Louis Armstrong par Joey Ramone, "Aux Champs-Elysées" de Joe Dassin par NOFX, "Paint It Black" des Rolling Stones par GOB, "Smooth Criminal" de Michael Jackson par Alien Ant Farm, etc... La qualité de la mélodie associée à une rythmique rapide et percussive fait toujours son petit effet...
Comment donc reprendre un morceau à son compte sans tomber dans le hors-sujet ?
Les traitements "extrêmes" sont, en effet, rarement de bon goût ! Pour la réussite artistique d'un Apocalyptica (Metallica joué par quatre violoncelles), combien de Pat Boone (standards métal en version "musique d'ascenceur" au deuxième degré), de Yuri Buenaventura ("Ne Me Quitte Pas" de Jacques Brel en salsa) ou de Six Feet Under (reprise intégrale de l'album "Back In Black" d'AC/DC par un groupe de death) devrons-nous endurer ?! La frontière entre l'originalité et la vulgarité est vraiment ténue. Par contre, quand une reprise "différente" est réussie, le résultat peut s'avérer vraiment remarquable.
Très subjectivement, nous pourrons citer "Message In A Bottle" de Police par Machine Head, "Shout" de Tears For Fears par S.U.P, ou, dans les moins connus, "Smalltown Boy" de Bronski Beat par Depressive Age et "Battery" de Metallica par Pagandom, qui apportent une réelle plus-value au morceau d'origine, une vraie appropriation dans le style habituel du groupe repreneur.
Généralement, le changement de style est assez propice à une réussite artistique. Contrairement à une reprise de thrash métal par un autre groupe de thrash métal, la reprise d'un morceau de musique classique par un groupe de métal, par exemple, présentera un décalage et un intérêt certains. Rappelons-nous "Les Quatre Saisons de Vivaldi" par Patrick Rondat ou Uli John Roth dans Accept, avec le thème de "La Lettre A Elise" de Beethoven, point phare du solo de guitare de "Metal Heart". Les insertions classiques telles que Schubert... dans le premier album d'Angra, "Angels Cry", ou encore une version frénétique de la "Toccata in Dm" de Bach par les punks rigolos des Toy Dolls. Toujours à propos de Patrick Rondat, notons également une reprise osée d' "Equinoxe IV" de Jean-Michel Jarre !
L'art de la reprise est difficile et ne recèle réellement d'aucune vérité absolue. Certaines reprises plutôt fidèles s'avèrent même parfois très réussies, tels les albums "Master Of Puppets" de Metallica et "The Number Of The Beast" joués intégralement en concert par les virtuoses de Dream Theater, "Hallowed be Thy Name" d'Iron Maiden et "Hell Awaits" de Slayer par les black métalleux de Cradle Of Filth, ou encore "Painkiller" de Judas Priest par Angra. L'appropriation est même, parfois, tellement forte, qu'on finit par croire que des morceaux appartiennent réellement au répertoire de celui qui les reprend : voir Metallica avec les "Am I Evil", "Last Caress", "Breadfan" ou autre "So What" !
Les artistes qui s'adonnent à cette discipline peuvent, également, être rapidement soupçonnés de mener une démarche purement et bassement mercantile. Il est si tentant, pour un chanteur ou un groupe inconnu, de démarrer sa carrière avec la reprise d'un tube historique, histoire de limiter les risques et de jouer la sécurité auprès du grand public ! Si un titre a plu, pourquoi ne plairait-il pas à nouveau ? Cette dérive est assez peu fréquente dans le métal, qui n'est pas une musique à "singles" ; elle l'est beaucoup plus au sein du Top 50, où l'on trouve régulièrement des versions massacrées de succès du passé ("Je Te Donne" de Jean-Jacques Goldman par le boys band Worlds Apart ; la totalité des nombreuses publications Star Academy, vaste entreprise de recyclage et de "dé-ringardisation" des tubes de nos mères et grand-mères...).
A ce sujet, nous nous permettrons un nouvel aparté (lire Le traitement de la musique à la TV) sur le phénomène de conformisme du grand public, qui gobe sans réfléchir ce qui lui est proposé. De cette façon, les chansons de l'entre deux guerres sont devenues le comble de la mode suite au matraquage de l'album de Patrick Bruel "Entre deux", alors que la quasi-totalité des tranches d'âge consommatrices de CD les auraient jugées ringardes quelques mois plus tôt ! Idem pour le chant choral, très peu "tendance" pendant des décennies, et subitement redécouvert par le grand public suite au succès du film "Les Choristes"...
Au sein du métal, deux menaces planent également sur le sujet des reprises. On constate, tout d'abord, une multiplication excessive des "tributes", ces albums hommages à des groupes cultes, sur lesquels se côtoient généralement le moyen et le très mauvais. Cette tendance avait bien démarré en 1996 avec la sortie de "Working Man", "tribute" à Rush joué par la fine fleur du métal progressif, mais on ne compte plus les albums publiés depuis, d'un niveau bien inférieur...
Enfin, on peut être amené à s'interroger sur l'intérêt de voir fleurir des albums entiers de reprises, comme ont pu en publier Slayer, Napalm Death ou Metallica, avec des adaptations de morceaux de leurs influences majeures. Après l'album "best-of", il ne faudrait pas que l'album de reprises devienne le nouveau moyen de solder un contrat avec sa maison de disques !