Le traitement de la musique à la Télévision - (de la subjectivité du goût musical)
 

Le métal n'est pas un genre musical très vendeur en France. On note au mieux quelques « coups » ponctuels, dus aux leaders du genre ou à la sensation du moment, mais un contexte particulier est malheureusement presque toujours nécessaire à des ventes importantes.

Quelques exemples :

• La reformation d'Iron Maiden avec Bruce Dickinson et Adrian Smith pour un Brave New World bien classé dans les charts et un groupe qui ratisse large dans plusieurs générations de fans.

• Les passages en radio de morceaux « faciles » (« Nothing Else Matters » en particulier) et le caractère relativement abordable du Black Album pour Metallica.

• Des fans passionnés qui se ruent sur l'album le jour de sa sortie (plus des pubs TV) pour « Six Degrees Of Inner Turbulence » de Dream Theater, fugitivement propulsé n°1 des albums.

• L'effet de mode, la présence sur la B.O d'un gros film (Spiderman) et le ratissage large (une belle voix, quelques grosses guitares, un soupçon de hip hop) pour Evanescence, qui ne peut tout de même pas être qualifié de vrai groupe de heavy metal !

• Un phénomène à analyser avec le recul pour « Reise, Reise » de Rammstein, récent n°3 des ventes d'albums françaises.

Si les amateurs de métal sont donc moins nombreux que ceux de la musique « institutionnelle », il est incontestable que cette population fait preuve d'une implication au dessus de la moyenne pour sa musique favorite. Sans tomber dans le cliché, on peut même dire que le métalleux vit souvent sa passion comme un sacerdoce : il se rend aux concerts, parfois éloignés, et y participe de façon positive, il est prêt à des sacrifices financiers pour ses groupes préférés dont il achète les disques dans une optique de collectionneur, il joue souvent lui-même dans un groupe, ou bien fait partie d'un fanzine, d'un webzine, d'une association ; il achète la presse « métallique » et mène une démarche active pour connaître des groupes auxquels les média de masse ne lui donnent pas accès, etc…

Ainsi, il est difficile de devenir fan de métal par hasard, au contraire de l'immensité des gens qui n'écoutent rien de plus que ce qu'ils entendent à la télévision ou à la radio : en gros, si l'on veut écouter du métal, il faut obligatoirement aller le chercher et mener une démarche active.

A ce titre, il nous paraît gravement anormal que les chaînes de télévision hertziennes nationales demeurent dans leur schéma actuel consistant à proposer de la musique uniquement « commerciale » (par opposition à « artistique »), commettant ainsi deux erreurs regrettables.
- D'une part, elles ne respectent pas l'importante partie de la population qui écoute du jazz, du blues, du classique, du rock, ou du métal (nous resterons prudents, faute de maîtriser le sujet, sur le rap et la techno qui ont un droit de cité un peu plus important).
- D'autre part, elles négligent totalement le rôle pédagogique que leur prépondérance devrait leur permettre de mener auprès de leurs téléspectateurs : certes, il ne s'agit pas de diffuser du Marduk à 20h45 sur TF1, mais il subsiste certainement un moyen d'informer le public que d'autres musiques existent, et d'en donner un aperçu qui ne soit ni dédaigneux ni caricatural. Des émissions telles que « Taratata » et ses performances live d'artistes d'horizons parfois divers (le duo de Sting avec Therapy sur « Next to you »…), ou « Nulle Part Ailleurs » et ses invités parfois extrêmes (Metallica, Sepultura, Machine Head…) étaient, à ce titre, des pistes intéressantes.

Afin d'illustrer ces accusations par des faits avérés, nous nous sommes amusés à examiner plusieurs semaines complètes de programme télé, pour mieux visualiser le traitement qui est donné à la musique sur les chaînes hertziennes françaises.

Semaine du 6 au 12 novembre 2004

Samedi 6 novembre
TFI :
11h15 : Star Academy . Rediffusion de la quotidienne de la veille. Contenu : en majeure partie les engueulades et caprices de la veille, au mieux un aperçu des cours avec les éternelles impros théâtrales et la répétition de quelques reprises hautement modernes (thème de la promo : Sardou…)
01h00 : Star Academy (best of).
01h55 : Hits and co, Magazine. Quel qu'en soit le contenu, est-il normal qu'un magazine d'actualité musicale soit diffusé à 2h du matin ? En espérant que le retard pris par le cabotin Christophe Dechavanne dans « Les 100 plus grands délires de stars » diffusé à 20h55 n'ait pas encore décalé le début de cette émission musicale…
France 2 :
20H55 : Samedi Soir avec… Bigard. Entre deux tranches de promotion de son DVD au Stade de France et les bons sentiments habituels de Michel Drucker, quelques chansons de variété avec Renaud, Pascal Obispo, Laam, etc.
23h20 : Tout le monde en parle. Cette émission de Thierry Ardisson n'est pas spécifiquement dédiée à la musique, mais certains chanteurs y sont parfois conviés ; l'habillage sonore est assez travaillé (jingles, extraits de chansons des artistes présents).
France 3 :
0h00 : Otello, opéra de Verdi. De la qualité pour les connaisseurs, mais toujours à un horaire tardif.
Canal + : RAS
France 5 : RAS
Arte :
22h35 : 40 ans de jazz, les grandes heures du Jazzfest Berlin.
23h30 : Metropolis, magazine (plutôt connoté electro ou musiques allemandes underground)
M6 :
06h00 : M6 Music, clips divers, avec une immense majorité de R'N B, dance et variété.
10h15 : Hit machine, hit parade dont on n'a jamais connu le mode de fonctionnement (!), animé par les « hilarants » Charlie et Lulu…
11h35 : Fan de, présenté par Séverine Ferrer. Au programme : « Jojo, un vrai phénomène aux USA ; Eve Angeli ; Laura Pausini ; Michael Youn ».
20h05 : Plus vite que la musique, par la craquante Laura. Au programme, Destiny's Child, Richard Gotainer, Isabelle Boulay. Que du gros rock, quoi !
01h00 : M6 Music, clips.

Dimanche 7 novembre
TF1: RAS
France 2 :
12h05 : Chanter la vie, par Pascal Sevran. Les idoles de vos grands-mères et les jeunes chanteurs déjà ringards à 17 ans (Allan…).
13h50 : Vivement Dimanche, par Michel Drucker. Spécial Lino Ventura.
France 3 : RAS
Canal + : RAS
France 5 :
11h15 : UBIK, actualité littéraire, musicale, cinéma, littérature, peinture, etc… On y sort (un peu) des sentiers battus.
Arte :
19h00 : Les Quatre Saisons de Vivaldi, concert classique.
M6 :
06h00 : M6 Music, clips.
07h40 : Star 6 Music, jeu. Appelez un numéro surtaxé pour trouver l'identité d'une star dont on vous montre la moitié du visage, plus des indices tels que « son prénom est Jean, il a joué dans Léon et le Grand Bleu », le tout en entendant sa voix ! Quelques infos et clips variété.

Passé le week-end, la semaine est encore pire ! Nous vous passons les émissions récurrentes, telles Star Academy et M6 Music, il reste donc :

Lundi 8 novembre
France 2 :
01h15 : Musiques au cœur, par Eve Ruggieri, magazine sur l'opéra et le classique.
Canal + :
20h10 : 20h10 pétantes, quotidienne. Dans la ligné de Nulle Part Ailleurs, quelques invités musicaux jouant live, et sortant parfois des sentiers battus.
M6 :
07h00 : C'est pas trop tôt, quotidienne. Quelques clips toujours à la sauce M6.
23h00 : La fièvre du samedi soir. Film disco culte mais kitschissime, déjà diffusé 26 fois !

Jeudi 11 novembre
France 2 :
23h00 : Trafic.musique, par Guillaume Durand. L'ombre de Taratata plane sur cette émission, quelques grands moments avec des invités prestigieux (Jimmy Page…) et pas mal de musique live. Dommage que Guillaume Durand l'anime…
Arte :
23h30 : Tracks, emission culturelle présentant souvent des artistes très underground.

Vendredi 12 novembre
Arte :
22h10 : Rock'n'roll et drapeaux rouges, soirée thématique sur le rock en RDA.

Sans oublier le « Prime » de Star Academy, ou « comment faire chanter des chansons de vieux à des jeunes et les vendre à leurs petites sœurs en leur faisant croire que ce sont des nouveautés » !!!

Au bout d'une semaine d'étude, nous sommes déjà abattus et constatons que l'analyse de plusieurs semaines serait usante et n'apporterait rien de plus, les mêmes émissions revenant régulièrement de semaine en semaine, à une ou deux émissions de variété près. Le constat est édifiant, les émissions les plus originales sont reléguées à des horaires tardifs, la place réservée à la musique en général est mince, celle réservée à la création artistique en particulier est plus limitée encore, celle offerte au métal est nulle.
Un autre constat nous paraît également inquiétant, nous le réalisons en examinant le sommet du « Top 50 » (par exemple celui de la semaine du 31/10 au 06/11/2004), révélateur immédiat des goûts des Français. Certes, les artistes métal, jazz, blues, celtiques ou encore classiques sont peu présents sur le marché du « single », mais le même genre de classement serait constaté sur les ventes d'albums :

1 er ) Star Academy 4 : Laissez-moi danser
2 ème ) Tragédie : Gentleman
3 ème ) Starsailor : Four to the floor
4 ème ) Papi Sanchez : Enamorame
5 ème ) K-Maro : Crazy
6 ème ) Multi-interprètes : Chanter qu'on les aime
7 ème ) Jenifer : Le souvenir de ce jour
8 ème ) DJ Sammy : Heaven
9 ème ) Speedy & Lumidee : Sientelo
10 ème ) Aventure : Obsesion


... soit deux émanations de Star Academy (4 et Jenifer), une chanson de bons sentiments et 7 productions mi-dance mi-R'n'B… Louons au passage la « créativité » de Tragédie qui vient de réussir à vendre trois singles de suite tellement ressemblants qu'un non initié pourrait croire entendre trois fois de suite la même chanson ! Inquiétons-nous également une nouvelle fois de cette monoculture qui est l'apanage du paysage musical français, et du traitement privilégié qui est accordé aux productions connotées « banlieue ».
De combien de ces artistes nous souviendrons-nous dans cinq ans ? Certainement très peu, il suffit pour le deviner de se remémorer la chute de popularité extraordinaire de la quasi totalité des élèves de la Starac ' aussitôt qu'ils ne sont plus dans le château, ou encore de jeter un regard en arrière sur un hit parade datant de quelques mois : la majorité des gros vendeurs de single ne sont que des feux de paille, des coups surfant sur la mode du moment sans être capable d'accrocher le public sur la durée.

Mais qu'est-ce donc que ce public si versatile qui adule un jour et ignore le lendemain ? Serait-il influençable au point d'être aussi peu critique et de gober tout cru la dernière sensation que le consortium constitué par les grandes maisons de disques, M6 et quelques radios populaires lui destine sans vergogne ?
Un dicton américain prétend volontiers que « 2 millions de gens ne peuvent pas se tromper », insinuant ainsi que la reconnaissance du plus grand nombre implique forcément la qualité. Il serait élitiste et irrespectueux d'affirmer que le bon goût n'est pas la chose la mieux partagée.
Néanmoins, prendre à revers cette hypothèse (les oeuvres peu vendeuses seraient donc dépourvues de qualité) donne une allégation tellement aventureuse que nous nous permettons de douter de la sagesse de la première affirmation.

A l'échelle du Top 50, un groupe comme Dream Theater est ridiculement petit : pourtant, qui oserait affirmer que sa musique n'est pas de bonne qualité ?
Ses musiciens sont techniquement excellents, ses morceaux possèdent des constructions riches et intéressantes, sa palette de sons est extrêmement large et recherchée, ses mélodies sont accrocheuses et émotionnellement intéressantes, son évolution d'album en album est flagrante, son attitude envers son public est respectable.

Peu de ventes = peu de qualité ?
Un grand succès = forcément de la qualité, puisque la majorité adhère ?
Ce n'est donc pas si simple… Le débat s'avère difficile à trancher, la musique étant éminemment subjective, la recette du succès tellement difficile à définir. Il semblerait, du moins, que pour plaire au plus grand nombre, les trois qualités indispensables soient les suivantes : des chansons simples, des mélodies très facilement mémorisables, un lien évident avec la culture populaire. Comment expliquer sinon, par exemple, le succès de chansons aussi édifiantes que « Viens boire un petit coup à la maison » (Licence IV), « Bo le lavabo » (Lagaf) ou « Dur dur d'être un bébé » (Jordy) dans les années 80 ? Comment expliquer, chaque année, le succès des albums Star Academy proposant des reprises de vieux tubes en voie de ringardisation (Dalida, Sardou et autre Nicoletta en tête) ?

Il nous arrive souvent de nous énerver contre le succès populaires de disques clairement taillés pour vendre, sans aucune préoccupation artistique. Il nous arrive aussi parfois de rêver qu'un de nos groupes préférés « casse la baraque » et rencontre un succès foudroyant.

Mais, finalement, le propre du rock n'est-il pas aussi d'être underground et « dangereux » ?
En demeurant un mouvement musical d'initiés, nous sommes au moins assurés de préserver une part de la crédibilité artistique de nos groupes, ainsi que la connivence et l'aspect rébellion qui peuvent exister dans le métal et le rock au sens large.

Notre musique n'est, définitivement, pas celle de tout le monde ; il nous est, certes, parfois difficile d'y accéder, mais au moins pouvons nous jouir du plaisir de ressentir un certain mérite et une certaine valorisation. Il n'est pas certain que le métal se porterait beaucoup mieux en devenant grand public. Le propre du très grand public, celui qui est peu connaisseur et peu critique, est de recevoir de la musique préfabriquée et de mauvaise qualité artistique sans se poser de questions. Le fait que le métal parvienne à remplacer dans son cœur Lorie et Star Academy ne nous semblerait pas forcément révélateur d'une très bonne santé du métal !

 
par Mitch
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