La Création d'un Groupe - Mode d'emploi
 

Quels sont les écueils à éviter, les difficultés, les étapes incontournables de la création d'un groupe ?

Sans prétendre donner toutes les clés pour monter à tout coup le nouveau Dream Theater (sinon, nous l'aurions déjà fait !), voici quelques pistes de réflexion, nourries de notre modeste expérience dans quelques formations !

1- Le recrutement, phase 1

Lorsqu'on cherche à créer un nouveau groupe de toutes pièces, rencontrer des musiciens s'avère chose assez aisée. Passez une annonce dans un gratuit, posez-en quelques unes dans des magasins de musique, et normalement, vous devriez recevoir un certain nombre d'appels d'origines diverses...
Pourtant, mettre la main sur des personnes capables de mener à bien un projet musical est beaucoup plus difficile : les qualités requises vont bien au-delà de la simple habileté technique. En effet, nous connaissons tous, par exemple, des guitaristes en herbe parfois assez doués : pourtant, combien "feront quelque chose" et prendront part à un groupe digne de ce nom ?

Au stade du premier contact, téléphonique ou physique, un certain nombre de points vont éliminer d'office une partie des candidats. En vrac :

- Le style musical de prédilection.
Le libellé de l'annonce devrait opérer une certaine sélection, si bien qu'il est peu probable d'être sollicité par un guitariste de reggae si l'on monte un groupe de death. Pourtant, au sein même d'un genre comme "le métal", il existe une variété de sous-catégories et de goûts personnels tels, qu'il est possible de ne pas forcément trouver de terrain d'entente commun. Les mélanges d'influences sont souvent bienvenus en musique, mais un minimum de références communes dans le style visé sont néanmoins recommandées ("non, je ne connais pas Porcupine Tree, je ne joue que du old doom dépressif underground d'influence slovène"...) !

- Le niveau annoncé.
Avec toute l'ouverture d'esprit et la bonne volonté possibles, les gros écarts de niveau entre les musiciens risquent de se montrer rédhibitoires : en exagérant à l'extrême, un jeune autodidacte jouant "à l'oreille" éprouverait de grandes difficultés à s'intégrer dans un groupe de musiciens aguerris, sachant lire la musique et parlant solfège ("c'est facile, tu le joues en 7/4, sur un mode fa myxolydien tenant compte de l'intervalle de quinte diminuée multiplié par la racine carrée de l'âge du capitaine" !). L'inverse est également vrai, quoiqu'il peut être bon qu'un groupe soit tiré vers le haut par un "leader technique" !

- Le degré d'ambition et d'implication proposé.
Les motivations peuvent être très éloignées, des gens qui souhaitent jouer des reprises "pour le fun", à ceux qui ambitionnent des répétitions régulières, la composition de morceaux originaux, des concerts et enregistrements studio...

- Le "feeling" !
Cette notion est bien plus difficile à quantifier, mais pour espérer jouer de la musique ensemble, il faut au moins que le courant passe entre les personnes ! Généralement, si on ressort avec une très mauvaise impression du premier entretien, il n'est pas la peine d'aller plus loin ("j'ai commencé la gratte il y a un an et demi, j'ai joué dans des groupes de ska, de death et de jazz, je suis super fort en solo, je reprends du Malmsteen avec les dents pour m'amuser"...) ! Si on n'a pas d'atomes crochus et que l'attitude générale du postulant nous rebute, autant passer à autre chose ! ;-D

2- Le recrutement, phase 2

A ce stade, un gros tri devrait avoir été effectué, avant même d'inviter quiconque à venir jouer ou à passer une audition à proprement parler. Ensuite se pose la question du déroulement de l'audition. De quelle façon tester les capacités d'un candidat, de façon objective (et si possible, sans trop lui mettre la pression ni « se la péter », on n'est pas dans "Popstars", quand même !) ? Si l'on monte un groupe de compos, sur quels morceaux tester un musicien ? On choisit, généralement, des reprises du style recherché, mais cela revient à évaluer sa capacité à rejouer la musique des autres, alors qu'on cherche justement quelqu'un capable de créer sa propre musique !

Car, au delà de l'habileté, instrument en main, un musicien de groupe devra posséder des qualités complémentaires, et néanmoins indispensables :

- La ponctualité.
Rien de plus énervant qu'un musicien qui arrive systématiquement en retard en répétition, qui bloque le reste du groupe, et qui risque de reproduire cette situation un jour de concert ! Ce point est d'ailleurs un bon indice de sélection : par expérience, un musicien qui arrive en retard à l'entretien ou à l'audition initiale s'avère rarement fiable par la suite !

- La persévérance à moyen et long terme.
Passée l'excitation des débuts, rares sont les personnes capables de s'investir à long terme, d'avoir de la suite dans les idées, de prendre le temps franchir toutes les étapes de la fondation d'un groupe. Pour preuve, il suffit de se reporter à l'historique de l'immense majorité des groupes et d'y lire le nombre de changements de membres et de galères de personnels, surtout dans les premiers mois !

- Etre carré !
Combien de musiciens n'a-t-on rencontrés qui, malgré une bonne technique, sont incapables de tenir le tempo en groupe, ou de s'abstenir de jouer tout seuls dans leur coin ! La cohabitation dans une salle de répétition de 4, 5 ou 6 personnes, impose un minimum de discipline et de règles de fonctionnement, et il est agaçant d'attendre que le batteur ait fini de se défouler dans un solo bruyant, alors que le reste des musiciens tente de discuter de la justesse d'un accord...

- La capacité à composer.
La difficulté est croissante entre savoir jouer des reprises, savoir trouver une partie créative et pertinente sur une compo amenée par un autre membre du groupe, et être capable d'amener des morceaux ou parties de morceaux "clé en main" ! Dans cette idée, il est usant de devoir s'occuper des parties de chacun des autres musiciens, d'écrire les paroles du chanteur, la ligne de basse du bassiste, etc ; il n'est pas interdit de s'entraider et de travailler à plusieurs, mais un minimum d'autonomie semble, néanmoins, indispensable !

De même, il sera important d'avoir une bonne oreille et un sens critique aiguisé, pour juger de la bonne alliance des parties de chaque instrument, de l'équilibre de la construction du morceau, de la pertinence des sons utilisés, etc...

- L'implication, voire une vraie compétence, sur les sujets annexes :
recherche de concerts, sonorisation, graphisme, paroles... Autant de sujets qui peuvent se montrer aussi importants que la musique elle-même. A quoi bon composer de bons morceaux si l'enregistrement démo qu'on en propose est inaudible ? Si on est incapable de trouver des scènes où les jouer ? Si la pochette de la démo donne plus envie de la jeter que de l'écouter ?

- Le travail personnel.
Il est important que tout le monde avance au même rythme, et que le groupe ne soit pas ralenti par un ou plusieurs membres qui ne se seraient pas acquittés de leur travail préparatoire sur les morceaux en cours. Idéalement, chaque répétition possède une sorte d'ordre du jour, de programme de travail. Par exemple, on se sera mis d'accord sur une suite de riffs proposé par le guitariste. Si le batteur (encore lui !), n'a pas cherché son groove et assimilé les enchaînements, il va bloquer le reste du groupe qui ne pourra pas faire tourner correctement le morceau.

- Un esprit de tolérance et de consensus.
Dans un groupe de rock, il peut y avoir autant d'avis différents que de membres. On se situe dans le domaine du goût personnel, hautement subjectif et irrationnel, si bien qu'il peut s'avérer délicat de convaincre les autres membres que votre idée est meilleure que la leur. C'est pourquoi, à défaut de les convaincre toujours, mieux se préparer à ces inévitables conflits et être armé, parfois de persuasion, parfois d'humilité, dans les cas ou votre avis n'est pas retenu.

A moins de ne contenir que des suiveurs, un groupe est synonyme soit de consensus (si tout le monde y met du sien), soit de boucherie (si chacun campe sur ses positions) ! C'est pourquoi je ne saurais que conseiller la modération dans les propos, histoire de préférer le "je pense avoir une idée qui colle mieux au morceau, on peut l'essayer et en discuter ?" au "c'est nul, ton truc !"

3- Le mode de fonctionnement

Un groupe de rock, quelque soit son niveau, est, en quelque sorte, une petite entreprise. Pour le mener à bien, on devra toucher à des domaines tels que la créativité, la définition d'un projet (pour ne pas dire un "produit"), la gestion des ressources humaines, la publicité, les relations publiques, la gestion d'un budget, etc... A ce titre, même s'il est important de demeurer dans le plaisir et la distraction, il ne me paraît pas choquant de définir un minimum de méthode de travail, histoire que chacun sache ce qu'il a à faire et d'avancer avec le plus d'efficacité possible.

Les modes de fonctionnement peuvent s'avérer très différents. Dans certains groupes, une personne s'occupe de la totalité de la composition, paroles incluses, de la production, et amène les morceaux clé en mains à ses musiciens, qui n'ont plus qu'à enregistrer leurs parties (parfois déjà écrites à la note près !).
Les avantages sont les suivants : l'unité de style est respectée (un compositeur unique), le travail avance vite en l'absence de discussions, d'essais et de conflits. En contrepartie, cette monoculture peut générer de la frustration chez les musiciens "assistés", qui n'ont pas leur mot à dire et peuvent se sentir bridés dans leur créativité. Rappelons-nous le départ de Jason Newsted de Metallica, condamné à utiliser les riffs de James Hetfield et Lars Ulrich pendant une quinzaine d'années !

A l'inverse, les morceaux peuvent être composés tous ensemble, en répétition. Le "boeuf" est la meilleure façon de voir surgir des idées uniques et inattendues, puisque chaque musicien peut agir en interaction avec les idées de ses collègues, en temps réel. A part que pour une idée géniale, il faut parfois jammer des heures sans que rien de bon ne sorte des instruments... Pourtant, un morceau écrit collégialement sera fortement satisfaisant pour tous les participants qui auront pu y apposer leur touche personnelle ; il pourra amener des trouvailles stylistiques intéressantes, en faisant cohabiter des influences variées et des idées provenant d'horizons divers.

L'option 1 (compositeur unique) est efficace mais restrictive.
L'option 2 (composition ensemble) est enrichissante, mais longue. Entre ces deux extrêmes, il semble possible de trouver des méthodes intermédiaires, qui tenteront de marier « le meilleur des deux mondes ».

Une fois la cohésion du groupe trouvée, le style défini (ce qui peut prendre un certain temps !), et la confiance installée, on peut envisager de se répartir les rôles, selon les compétences de chacun, pour ne pas travailler systématiquement en séances collégiales gourmandes en temps et en énergie.
Par exemple, un guitariste a trouvé quelques riffs ; il les organise en un premier squelette de morceau, lors d'une séance de travail avec le batteur. Sur la base de ce brouillon amélioré, chacun des musiciens cherche sa propre partie de son côté, tout en faisant ses remarques spécifiques sur les modifications à apporter.
De même, le claviériste, ancien chanteur, pourra aider le chanteur à trouver ses mélodies tout en faisant « tourner » le morceau, tandis que le bassiste, doué en informatique, travaillera sur le futur site internet du groupe ! L'important demeure de faire des points réguliers, afin vérifier que le morceau convient à tout le monde, et afin de recueillir le maximum d'idées et de points de vues différents.

Aucune méthode miracle n'existe réellement, l'important est de trouver le mode de fonctionnement qui convienne le mieux aux personnalités en présence et, surtout, qui permette de sortir les meilleurs morceaux en un minimum de temps !

4- Epilogue

Démarrer un groupe « de zéro » représente souvent un long chemin de croix, pour lequel il faudra être préparé et surmotivé. Avant même de pouvoir faire écouter le moindre morceau original achevé, de longs mois peuvent s'écouler, entre le recrutement des musiciens, la recherche d'un local de répétition, la définition d'un projet et d'un style communs, le choix du nom du groupe (qui mériterait un article à lui tout seul !), la composition, les répétitions, voire l'enregistrement.

Pourtant, quel que soit le succès rencontré au final par vos titres (il paraît que le métal et le prog ne sont pas les genres les plus vendeurs ?!), personne ne pourra vous enlever la fierté d'avoir mené un projet créatif de A à Z, d'avoir réussi à mettre en commun le meilleur de vos qualités pour aboutir à un produit fini qui vous ressemble.

La France est un pays dans lequel on critique beaucoup ; pourtant, combien de gens font réellement quelque chose ? Combien ont la persévérance nécessaire pour mener un projet à son terme ? Les forums des sites internet musicaux sont remplis de pseudo mélomanes aigris qui cassent les groupes avec facilité sans songer à tout le travail qui se cache derrière la moindre démo. Musiciens, soyez donc fiers de vous, et continuez à monter des groupes, car la création est bien plus indispensable que la critique !

P.S : toutes les anecdotes et "citations" sont tirées d'exemple vécus (et à peine exagérés) !
Toute ressemblance avec… blablabla… n'est dont pas fortuite ! :o)

 
par Mitch
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