Le Scandale Evergrey - (de la subjectivité du goût musical)
 

C'est en ces termes racoleurs qu'aurait pu s'exprimer un hebdomadaire à scandale tel que "France Dimanche" ou "Ici Paris", de la même manière que lors des traditionnels "Johnny Hallyday : le divorce !", pour évoquer le divorce... de sa femme de ménage, ou encore "Michel Sardou : le drame !", suite au décès du hamster de son fils... ;-D

Car de scandale, il n'y en a pas plus, à ma connaissance, dans le comportement des membres d'Evergrey, que dans celui de la majorité des groupes de métal. C'est plutôt à son manque déroutant de succès en France que je fais référence dans cette accroche honteuse ! En effet, malgré un succès important en son pays, la Suède (son dernier DVD "A Night To Remember" - lire la chronique - est entré n°1 des charts, par exemple, Evergrey n'a toujours pas réussi à s'incruster dans la première division des groupes de métal unanimement et internationalement reconnus. Pourtant, quelque soit l'angle d'attaque des qualités du groupe, tout ou presque laisserait attendre des ventes autrement plus conséquentes.

Sa musique, tout d'abord, étonnamment riche et versatile, mêle habilement du gros métal au son surpuissant, des harmonies de guitares complexes héritées des Iron Maiden et autre Judas Priest, des parties démonstratives qui ont amené certains parallèles avec Dream Theater et Symphony X, des rythmiques syncopées et torturées facilement reconnaissables par leur utilisation des contre-temps, sans oublier de nombreuses parties de piano ou de claviers qui viennent distiller des ambiances plus soft et émotionnelles au milieu de morceau à la forte coloration sombre, limite gothique (dans l'acception d'un Paradise Lost). En gros, Evergrey réussit une alliance osée de prog-métal, de dark et de heavy traditionnel.

Par ailleurs, son niveau technique le place dans le peloton de tête des groupes actuels, tous styles de métal confondus, à l'image de ses deux guitaristes Tom S. Englund et Henrik Danhage, qui se partagent les rythmiques bancales, les solos rapides et mélodiques, et, on l'a vu, les "twin guitars" jouissives. De même pour ses claviers et batteurs successifs qui jonglent sans souci des parties aériennes au métal le plus implacable. 

De plus, les prestations d'Evergrey en concert s'avèrent rarement décevantes, le groupe restituant avec fidélité ses morceaux les plus complexes, délivrant des apparitions haute en énergie et en headbanging, sans négliger les interludes les plus planants et mélodiques. Nous nous souviendrons longtemps d'un mini-concert acoustique donné au café "le Gnôme et Rhone de Lyon", début 2003, durant lequel le groupe avait touché notre corde sensible malgré l'absence "d'électricité" ! En effet, Evergrey possède un atout de choix en la voix de son leader Tom S. Englund, chanteur exceptionnel. Là où de nombreux groupes se seraient contentés d'un aboyeur, Tom S.Englund propose une palette d'émotions impressionnante, avec une voix à la fois rauque, puissante et modulable. Il sait se montrer véritablement poignant, aussi bien sur des passages calmes que sur les parties les plus métalliques.

Ajoutons à cela son fort charisme (il est une sorte de colosse aux cheveux interminables et à la gueule de viking), qu'il n'est pas sans partager avec son bassiste Mikael Hakansson, à la crinière frisée, au gros bouc et au long kilt en cuir, et avec le jeune guitariste soliste Henrik Danhage, virtuose et remuant, et l'on aura une idée de l'image forte que peut renvoyer le groupe sur scène, lieu qu'il fréquente volontiers, ratissant régulièrement, par exemple, les gros festivals européens estivaux. Concluons la partie "image" du groupe en louant le soin qu'il apporte à ses packagings, CD, DVD et clips (exemple avec 3 pochettes de CD ci dessous).
Le double DVD "A Night To Remember" en est un bon exemple : en plus d'un excellent concert (avec trois choristes), il offre de longues interviews de chaque musicien, un reportage amateur retraçant la vie en studio et sur la route du groupe depuis ses débuts, ainsi que plusieurs clips à l'esthétique et au script étonnemment soignés et originaux pour un groupe évoluant dans ce style de musique.

Alors, pourquoi Evergrey n'a-t-il pas encore "cassé la baraque" ?

Sans parler du succès grand public d'un Rammstein ou d'un System Of A Down, pourquoi n'est-il pas encore au niveau d'un Angra ou d'un Nightwish ? Et comment expliquer, par exemple, que son concert du 17/05/2005 au Transbordeur de Lyon, ait attiré moins de 200 spectateurs - lire chronique ici ? Suis-je donc le seul à reconnaitre toutes les qualités citées plus haut aux cinq d'Evergrey ? Je serais reconnaissant envers nos fidèles lecteurs si certains me proposaient des pistes de réflexion... ;-D car j'en trouve réellement peu moi-même, je dois l'avouer !

Evergrey a-t-il éventuellement "le cul entre deux chaises" ? Est-il trop progressif pour les purs métalleux, avec des morceaux à tiroirs, des rythmiques particulièrement peu binaires, trop de sons doux de piano et de nappes de claviers ? Est-il, dans le même temps, trop violent pour les amateurs de progressifs, pour lesquels Dream Theater représente souvent le maximum de la tolérance en termes de puissance ? Ses ambiances s'avèrent-elles trop sombres pour ce type de public ? Le comportement des musiciens à la ville, tel qu'il est montré dans le reportage cité plus haut, est-il trop "primaire" pour un public sophistiqué (concours de boisson, blagues à deux balles et excès divers, la vie sur la route, quoi !) ?

Ou bien y a-t-il un déficit de reconnaissance des musiciens, après de nombreux changements d'effectif ? En effet, Tom S.Englund est le dernier rescapé de la formation de départ, seuls Henrik Danhage et Mikael Hakansson étant présents depuis plus de deux albums. Peut-on, également, parler d'une absence de contexte favorable, ces situations particulières et inexplicables (du moins sur le moment) qui font qu'un groupe hors norme rencontre soudain un impact innatendu, tels Nirvana, Guns'N Roses, Metallica, Rammstein, Evanescence, Within Temptation, Dream Theater ou System Of A Down en leur temps, et à des niveaux différents ?

Le mystère reste, pour ma part, assez entier ; j'espère, en tout cas, que l'avenir me fera mentir et qu'un public plus nombreux sera aussi sensible que moi aux qualités d'Evergrey ! Allez, je retourne me mettre un petit "The Masterplan", pour le coup ! ;-D

 
par Mitch
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